184ème
semaine
Du lundi 4
au dimanche 10 février 1918
Ce blog se
poursuit sur un double plan temporel :
- avec une
correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec une
chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais
COMBATS A LA GRENADE
Elie FERMAUD
soldat au 4ème Régiment d’Infanterie Coloniale
Tué à
l’ennemi le 8 octobre 1915 à Massiges (Marne)
Elie FERMAUD est né
à Tornac le 22 septembre 1894, d’Auguste et de Césarine Fernaud (ou Fermaud,
erreur de transcription ?). Il est domestique de ferme.
Incorporé le 5 septembre
1914 au 4ème Régiment d’Infanterie Coloniale.
Ce régiment de
marsouins, constitué à Toulon, a déjà participé en août aux premiers combats
sur la frontière franco-belge, avec d’énormes pertes : 22 officiers et
1475 hommes tués, blessés ou disparus. Il participe ensuite à la bataille de la
Marne, à partir de février 1915 il est à Massiges, lieu d’épouvantables combats
pour reprendre aux Allemands une série de mamelons très fortement défendus.
Le 2 juin, le 4 RIC
est relevé et le régiment va au repos à Vignacourt puis à Vertus.
L’instruction et
l’entraînement sont repris. C’est une période vraiment agréable de la vie du régiment.
Excellent soldat au feu, le Poilu du 4e est aussi un joyeux vivant à l’arrière
; il organise des concerts auxquels il invite la population civile et obtient
un gros succès. Quand il faudra quitter ce lieu de délices, de part et d’autre,
il y aura des regrets.
Les combats
reprennent, c’est la bataille de Champagne, sur un immense front de 25
kilomètres de large, avec une préparation d’artillerie jusque là inconnue.
Historique du 4
RIC pour la Bataille de Champagne (25 septembre au 12 novembre 1915) :
« L’organisation
du secteur, bien étudiée, bien comprise, est terminée le 18 septembre et chacun
attend le jour de l’attaque avec impatience, persuadé que l’offensive
entreprise va avoir de grands résultats sur la fin de la guerre et que l’heure
de la victoire est proche.
La préparation
d’artillerie commence le 22, exécutée supérieurement. A 9 heures, l’infanterie
sort des tranchées derrière le barrage des 75, et surprend l’ennemi. Vers 10
heures, la progression devient plus difficile, l’ennemi s’étant ressaisi et ses
mitrailleuses faisant tête à nos hommes. Pendant l’après-midi et la soirée,
l’avance se poursuit malgré la pluie, sans que l’ennemi manifestât la moindre
velléité de contre-attaquer. On met la nuit à profit pour se ravitailler en
munitions, la progression devant être reprise au jour, après une nouvelle
préparation d’artillerie. Cependant, malgré les ordres donnés, une fraction de
grenadiers des 5e et 6e Compagnies enlèvent un important carrefour de boyaux,
ce qui entraîne une réaction de l’ennemi et la reprise de l’action générale. Un
peu plus tard comme on creusait un boyau pour aborder une tranchée ennemie, un
groupe d’impatients s’élance par dessus le parapet, à la grenade et met en
fuite l’ennemi, après en avoir fait un grand carnage. Une heure après, la
liaison avec le 8e Colonial était établie, au col des Abeilles par la 8e Compagnie,
sous les ordres du lieutenant Kern.
Au cours de la nuit,
l’avance à la grenade continue en de nombreux points et surtout vers la gauche,
mais, par contre, l’ennemi, à droite, tenait fortement le Plateau, dans le
voisinage des entonnoirs, avec des mitrailleuses. Une attaque fut montée contre
ce point, avec le concours des 155 et des 58 ; elle réussit à merveille, une
pièce de 77 que l’ennemi cherchait à enlever fut prise par une poignée d’hommes
commandée par un sergent, le lieutenant boche et tous ses servants furent tués
sur place.
Le 28, l’ennemi
accentua sa résistance, grâce à des troupes fraîches et de l’artillerie lourde
amenés d’Argonne. Il tenta une contre-attaque qui fut repoussée avant le lever
du jour par le 3e Bataillon, et vers 8 heures, une nouvelle tentative fut
dispersée par le canon. Après une nouvelle préparation, notre attaque à la
grenade recommença, âpre et terrible, les Allemands ayant ordre de se faire
tuer sur place, sans reculer et étant bien pourvus, eux aussi, de grenades ;
néanmoins, vers 14 heures, nous tenions les abris 1747 où nous prenions 2
médecins et 40 blessés. Le terrain conquis était complètement nettoyé d’ennemis
en état de porter les armes, et on commençait les travaux d’organisation. Le 8e
Colonial qui avait moins souffert, venait relever, dans la journée du 29, le
4e, qui allait se reformer derrière le promontoire de 180.
Le régiment avait
fait preuve durant ces journées d’un élan, d’un courage, d’une opiniâtreté à
toute épreuve et causait à l’ennemi des pertes énormes, surtout en tués. Il
avait pris 2 canons de 77, 8 mitrailleuses, et enlevé une position
formidablement organisée. Mais les pertes étaient énormes : 16 officiers tués,
14 blessés, 273 hommes tués, 693 blessés, 107 disparus.
Le régiment reste
seulement 48 heures à l’arrière et remonte pour continuer l’organisation du
terrain avec le concours des territoriaux. L’artillerie ennemie est très active
et les pertes sont dures pendant le mois d’octobre.
Au mois d’octobre,
le régiment est en ligne avec un bataillon au Mont Têtu, un autre à la Verrue,
et le 3ème en réserve au pied de l’Index. Les vides ont été comblés par des
renforts, mais les officiers sont nouveaux et ne connaissent pas bien leurs
hommes ; les hommes sont des récupérés qui auraient besoin d’une bonne période
de remise en main et d’entraînement ; de plus la pluie se met à tomber et
l’ennemi marmite constamment. Le 3, le tir de l’artillerie devient plus violent
et, vers 16heures, la première ligne est à la fois bombardée avec des
lacrymogènes et arrosée avec des lance-flammes. Les lacrymogènes ne font pas
grand mal, car chacun a mis son masque, mais les flamenverfer produisent un
effet de surprise suffisant pour entraîner l’abandon du Mont Têtu. Les troupes
reprennent cependant vite leur sang-froid et, au cours de la nuit, deux
contre-attaques successives sont menées avec vigueur, sans succès ; il faut
attendre le jour pour attaquer de nouveau. Le régiment réussit à réoccuper
presque tout le terrain perdu la veille, mais le tir des mitrailleuses ennemies
l’oblige à organiser le terrain et à élever des barrages de sacs à terre ; il repousse
un retour offensif des Boches. Enfin une quatrième attaque est montée avec le
concours du 8e Colonial et de sapeurs pompiers de la ville de Paris, munis de
lance-flammes. Les résultats en sont à peine sensibles, car si nos hommes
sortent des tranchées avec leur élan habituel, les pompiers en revanche ne
connaissent pas suffisamment la manœuvre de leurs appareils et ont, de plus,
vent contraire.
D’ailleurs, l’ennemi
qui veut à tout prix un succès, pour effacer sa défaite récente, emploie les grands
moyens, écrase nos tranchées sous une avalanche d’obus et d’engins de tranchée
et nous sommes contraints d’évacuer la position du Mont Têtu, sans combat. Le
gain matériel de l’ennemi est minime, mais l’effet moral, sur des hommes aussi
fatigués que les nôtres, est considérable. Le colonel demande à être relevé,
pour laisser reposer ses hommes, reprendre l’instruction, refaire le moral de
sa troupe où les nouveaux venus sont trop nombreux. La relève est ordonnée ».
Un autre texte moins
formel raconte ces journées, c’est celui des souvenirs de guerre de Laurent
Couapel du 155 RI :
« Le 24 (septembre
1915) au soir, un soldat est passé dans la tranchée, demandant à ceux qui
voulaient se confesser d'aller voir l'aumônier dans un gourbi à côté. Pour mon
compte, j'y suis allé. Nous savions que l’attaque était pour le lendemain à
l'aube, le 25 septembre 1915, une date que je n'oublierai jamais.
A la pointe du jour,
le clairon de notre compagnie a sauté sur la tranchée et sonné la charge. Nous pensions
qu'avec un pareil déluge d'obus, il ne restait personne dans les tranchées
adverses. Nous nous étions trompés, car les balles ont commencé à siffler
autour du clairon, cependant, il n'a pas été touché. Après le clairon, notre
commandant est monté en disant « En avant mes enfants ».
Presqu’aussitôt nous
avons croisé des blessés allemands faits prisonnier. En tête il y avait un
commandant, il avait le ventre ouvert et tenait ses entrailles dans ses bras.
Un soldat suivait avec un œil arraché qui lui pendait sur la joue et bien
d’autres soldats avec des blessures plus ou moins horribles.
Nous attaquions en
colonnes par deux. Je marchais à la gauche de mon caporal. Nous n’avions pas
fait 20 mètres que j’ai entendu une balle le frapper. Il a simplement dit:
« Touché ». Il avait reçu la balle dans l'aine. Nous n’avions pas le droit
de nous arrêter à porter des soins aux blessés. Notre commandant qui était à
quelques mètres à ma gauche a reçu une balle en séton dans le cou, son
ordonnance lui a fait un pansement sommaire et il a repris la tête du
bataillon.
En avant de moi il y
avait notre sergent de section, clown dans le civil, il s’était barbouillé la
figure comme au cirque. A chaque bond, nous profitions des accidents du
terrain. Notre sergent était superbe, il n'a pas baissé la tête une seule fois,
et pourtant une balle avait traversé le sommet de son casque, sa capote était
trouée par les balles et déchirée par les éclats d'obus, mais il n'arrêtait pas
de nous faire rire avec ses pitreries. Finalement, il n'a pas eu une
égratignure.
Pour le soir, nous
avions avancé de plusieurs kilomètres, mais à la nuit, nous avons arrêté parce
que soi-disant nous étions menacés d'être encerclés. Les officiers, craignant
que les tranchées et abris soient minés, nous ont fait allonger derrière le
parapet d'une tranchée. Comme nous étions habillés de neuf, mes brodequins me
gênant un peu, pour mieux courir le matin de l’attaque j’avais mis mes souliers
de repos avec le haut en toile. J’avais été mal inspiré. Toute la journée il
est tombé une petite pluie fine qui m’avait trempé les pieds. La nuit, il y a
eu une forte gelée blanche et pour le matin j’avais les pieds gelés, pas assez
pour être évacué mais assez pour me faire souffrir pendant plusieurs mois.
Le matin nous avons
vu quelques Allemands sortir des tranchées et venir se constituer prisonniers.
Il en est passé un tout près de moi très jeune et très grand, c'était un bel
homme qui ne paraissait nullement impressionné de se trouver au milieu de nous.
Dans la journée, nous avons eu le droit de pénétrer dans les tranchées et dans
les abris fabriqués par les Allemands. Je n’avais pas vu ça chez nous. Il y
avait des abris où loger une compagnie, taillés dans la craie à 7 ou 8 mètres
de profondeur, bien étayés et plafonnés avec des lits superposés. Ce n'était
pas étonnant qu'ils aient tenu le coup sous le déluge d'obus que nos artilleurs
leur avaient envoyés.
Les jours suivants,
nous étions en 1ère ligne, je n'étais pas de garde du créneau et je m'étais
allongé dans une petite niche que nous creusions dans le bas de la tranchée en
prévision des fusants. Justement, il nous arrivait de gros noirs, nous les
appelions ainsi à cause du gros nuage de fumée noire qu'ils dégageaient en
éclatant.
L'un d'eux, un 155,
venait d'éclater à 10 mètres au-dessus de notre tranchée, projetant sa pluie de
shrapnells. Presque aussitôt, un soldat est venu me prévenir que mon copain,
Louis Coeuret était blessé. Il était à une dizaine de mètres de moi.
Quand je suis arrivé
à lui il était nu jusqu'à la ceinture, le major venait de l'examiner et
essayait de le consoler en lui disant qu'il avait la bonne blessure. C'était un
shrapnell qui lui était rentré au bas de l'omoplate et se dirigeait vers la
région du cœur. Aussitôt qu'il m'a vu, il m'a dit: « Adieu, j'en ai pour mon
compte ». Et en effet, il est mort le lendemain à l'hôpital. Ses pressentiments
ne l'avaient pas trompé.
Au bout d'une
huitaine, nous avons été relevés et nous sommes descendus au repos dans les
baraquements du 106ème au camp de Chalons. En descendant, nous avons pu
remarquer que les cadavres des hommes avaient été enlevés, à la lisière d'un
petit bois de sapins, nous en avions bien laissé une centaine fauchée par les
mitrailleuses ennemies. Mais, si les hommes avaient été inhumés, les chevaux
n'y étaient pas. Il y avait là une cinquantaine de chevaux ballonnés qui
dégageaient une odeur épouvantable.
Dans les baraques,
nous n'étions pas mal. Il y avait une bonne litière de paille fraîche et nous
pouvions nous procurer du pinard à Mourmelon où il y avait encore des civils.
Au bout de huit
jours, nous avons repris les lignes dans le même secteur où nous avions
attaqué.
Dans la nuit du 7
octobre 1915, notre capitaine nous avait emmenés creuser une tranchée, nous
avions travaillé toute la nuit, nous avions enlevé nos capotes et les avions
déposées avec nos fusils sur le bord de la tranchée que nous creusions. A la
pointe du jour, il est passé un avion ennemi qui nous a aperçus et signalé. Aussitôt,
les 155 percutants nous sont tombés dessus et le tir était bien réglé. Il en
est tombé un sur mon fusil et ma capote qui les a pulvérisés. J'étais à côté du
caporal, un jeune engagé de 18 ans. Nous avons été enterrés tous les deux. Les
camarades nous ont dégagés. Je n'avais rien, le caporal non plus ou du moins,
nous lui avons trouvé aucune trace de blessure, mais il était mort commotionné.
Quelques minutes
après, arrive un bataillon du 154ème d'infanterie, commandant en tête, revolver
au poing et qui nous interpelle: « Qu'est-ce que vous foutez là le 155 ? Voulez-vous
filer devant nous ou je vous brûle la gueule. Votre régiment est en train
d'attaquer et vous êtes planqués là ». Pour ma part, j'avais trouvé ces mots
parfaitement injustifiés. Nous n'avions pas revu notre capitaine depuis le soir
et n'avions aucun ordre d'évacuer la tranchée que nous avions creusée.
Cependant, nous
avons obéi et sommes partis avec le 154. Arrivés en première ligne, les
occupants nous ont confirmé ce que le commandant nous avait dit, notre régiment
avait bien été attaqué et la plus grande partie de nos éléments d'attaque était
restée dans les barbelés avant d'avoir atteint la tranchée allemande. Ils
avaient été exterminés par nos 75 qui avaient tiré trop court.
Nous sommes restés
quelques jours avec le 154e, puis nous avons rejoint le 155e et nous sommes
descendus au repos ».
Elie FERMAUD a été
blessé le 5 octobre 1915. Il est déclaré comme tué à l’ennemi le 8 octobre 1915
à Massiges (Marne). Il a été inhumé dans la Nécropole nationale Le Pont du
Marson, commune de Minaucourt-le-Mesnil-lès-Hurlus (Marne), tombe 2650.
Elie FERMAUD figure
sur le monument aux morts et sur le livre d’or de Tornac.
A
suivre…
Source pour les
souvenirs de guerre de Laurent Couapel, le site chtimiste.com :